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Immersion dans la compagnie « Le Théâtre de Mouvement »

Immersion dans la compagnie « Le Théâtre de Mouvement »

Découverte d’un corpus vidéo à travers le regard d’un·e étudiant·e.

 

À partir des ressources documentaires et des extraits vidéos disponibles sur Somim et à la Médiathèque Pierre Fanlac de Périgueux, Améline Garant pose un œil novice sur le travail d’une compagnie emblématique des arts du mime et du geste : le Théâtre du Mouvement.


 

Immersion dans la compagnie « Le Théâtre de Mouvement »

 

« En 1997, quand nous avons joué au Festival du Marais, les organisateurs nous ont dit : ‘‘On aime beaucoup votre travail mais il est hors de question de vous faire passer sous le nom de mime. D’une part, les gens qui connaissent Marceau vont être surpris et d’autre part, les gens qui n’aiment pas Marceau ne viendront pas.’’ On a trouvé ‘‘Théâtre du Mouvement’’. Finalement la presse a entériné l’appellation comme nom de compagnie. Nous en fûmes satisfaits puisque ce nom définissait assez bien notre travail. En effet, l’une de nos caractéristiques et de nos spécificités est que nous venons du mouvement, du mouvement sous des formes très diverses. »

(Claire Heggen lors d’un entretien en juin 2010.) 1


Claire Heggen et Yves Marc, fondateurs du Théâtre du Mouvement, sont à la fois auteurs, metteurs en scène, acteurs et enseignants. La compagnie a produit plus de quarante spectacles. Habituée du Festival Mimos, où elle a présenté sept de leurs spectacles, cette compagnie concentre ses recherches sur les capacités corporelles de l’acteur en travaillant par exemple avec les notions d’animalité, de musicalité du mouvement ou encore, la marche. Nous vous proposons d’analyser les extraits de leurs pièces jouées lors du Festival Mimos de 1991 à 2015.

 

Lettre au porteur (Mimos 1991)

Un homme porte une femme, défiant sans cesse la gravité dans le but qu’elle ne touche pas une fois le sol. C’est une histoire d’amour en temps de guerre. Louis, soldat parti à Stalingrad, écrit le soir de Noël une dernière lettre à sa femme : « Marie, je t’écris cette lettre, bien que j’en aie écrit une hier. Les choses en sont arrivées à un tel point qu’il est temps pour moi de te dire adieu. Je ne reviendrai plus et pourtant, Marie, entre nous il n’existe que l’espace-temps... » La métaphore se prolonge : l’homme porte le poids de l’absence de sa bien-aimée. Les personnages sont à 4000 km l’un de l’autre, les acteurs sont en contact permanent.

Dans l’extrait nous pouvons voir une femme en robe jaune légère qui tourne autour de l’homme sans le regarder en trouvant des appuis comme si elle se trouvait le long d’une paroi, qu’elle escalade au fur et à mesure. L’homme est en habit de travail, il supporte en permanence le corps de la femme et l’aide à trouver ses appuis sans jamais la regarder. Cette absence de réciprocité du regard donne lieu à une présence-absence qui nous permet de comprendre la distance entre les personnages malgré leur proximité charnelle. Le fond sonore peut s’apparenter à celui d’un camp militaire avec des coups de feu et des bruits de réparation mécanique. Puis, le sifflement avec la répétition des notes donne un effet lancinant à la scène, ne donnant pas l’espoir de retrouvailles entre les personnages. À la fin de l’extrait l’homme assis porte sa femme sur les épaules comme Atlas pourrait porter le monde, de manière résignée.

Ce spectacle recevra le Prix du Jury Mimos en 1991.


 

Encore une heure si courte (Mimos 1992 et 2015)

Pour Claire Heggen, cette pièce est un « exemple de composition ‘‘polyphonique’’ entre partitions et textes musicaux, partitions gestuelles et dramatiques, objets et matériaux ». 2

De trois caisses émergent trois jeunes hommes, lointains cousins de Beckett, Tati et Buster Keaton. Leur gestuelle, pour le moins insolite, oscille entre virtuosité raffinée du mouvement et acrobatie. Ils s’expriment dans un étrange langage, imaginaire, musical et poétique. Les mots décomposés, les mots-valises et les sons inattendus dialoguent avec le corps, au comportement lui-même décalé, décomposé, géométrisé, inusité. Tels des aventuriers, ces trois personnages explorent un environnement qui leur est inconnu voire hostile. Les caisses se transforment métaphoriquement, tour à tour, matrice utérine, prison, carapace, refuge, bateau, coffre au trésor, passerelles, bureau, jeu de cubes… La représentation est un parcours de vie où le trésor recherché réside dans le parcours lui-même.

Dans l’extrait de 1992, nous voyons un homme qui escalade et en même temps empile des cubes de tailles et de couleurs différentes, les maintenant en équilibre sur leur centre exact de gravité. Un autre, muni de lunettes de soleil, observe, l’air curieux. Le premier renverse le plus petit cube, faisant s’effondrer la pyramide. Un troisième personnage surgit de derrière un cube et énonce une suite de mots avec des intonations différentes, tout en marchant-dansant. Il joue avec sa veste comme d’un élément scénographique à part entière, lit un bout de papier puis repart. Les deux autres personnages l’observent à distance, intrigués mais prudents. Le troisième finit par s’asseoir dans un cube puis se laisse glisser à l’intérieur, comme s’il s’agissait d’un puits. Il n’y a pas de musique ni d’effet sonore, si ce n’est la voix des acteurs.

A l’aube des quarante ans du Théâtre du Mouvement, la compagnie à l’occasion de non pas « rejouer » mais de « recréer » selon les dires de Claire Heggen, Encore une heure si courte. Cela ouvre une nouvelle perspective de transmission, revisitée et renouvelée par une recherche approfondie, un « ré-envisagement » des partitions corporelles et une interrogation sur l’écriture et la dramaturgie de la pièce. Cette seconde version est jouée par des artistes catalans issus de l’Institut du Théâtre de Barcelone.

Dans l’extrait de 2015, on peut voir qu’il y a toujours l’empilement des cubes même si les gestuelles autour ne sont pas tout à fait les mêmes : il y a désormais un jeu avec les lunettes du personnage qui observe, et un jeu de bras de celui qui empile. Le jeu avec le bout de papier est plus approfondi, il ancre l’objet dans la scène comme un élément essentiel. L’extrait prend fin avant que le personnage glisse (ou non) dans le cube-puits.


 

L’Homme Debout (Hommage à É. Decroux) (Mimos 1998)

Le spectacle rend hommage à Étienne Decroux, pour son travail considérable sur l’art du mime au XXe siècle. Sa pédagogie française du mime, très spécifique et reconnaissable, s’inscrit dans une histoire globale de l’art de l’acteur. Le corps sur scène est travaillé, formé, décomposé, dénudé, … ; le XXe siècle donne une place centrale aux initiatives corporelles.

Dans le spectacle L’homme Debout, le Théâtre du Mouvement montre des images de répétitions – dont la fameuse leçon de Decroux « Prise de verre en 26 poses » – et joue certaines pièces composées par leur maître. La compagnie présente également une création.

Nous voyons dans l’extrait une femme et un homme qui marchent d’une manière géométrique autour d’un trapèze en bois. Ils explorent les différentes manières de marcher dessus, de l’escalader ou de l’enjamber tout en gardant l’équilibre. Ils jouent avec les points de gravité et le balancement de la forme géométrique. Attitude et visage neutre, toute l’attention est concentrée sur la marche.


 

Latitudes Croisées (Mimos 2002)

Une cinquantaine de portraits défilent sur scène : un papyromane, un rapporteur, un attrape-malices, un insinuateur de cadavres, un trégille-au-malheur, un faux paleur, une obsédée du blanc, une cavalombreuse, une sultanotrope, une autobienfaitrice, une preneuse de gants, un rien-à-faire, un astrolimpide, etc. Tous ces personnages se trouvent embarqués sur un transatlantique pour une destination inconnue. Les relations humaines en tout genre, les conflits, les jeux de séduction, les haines et les désirs ne tardent pas à apparaître.

Dans l’extrait nous voyons un acteur agenouillé sur une valise et une bande plastique transparente. À l’extrémité de cette bande se trouve une statuette debout sur une chaise qui tient à la main l’autre bout de la bande. Ce chemin est éclairé par de la lumière blanche. Le personnage fait des vagues avec le plastique avant de tirer doucement la bande à lui, faisant ainsi avancer un bateau en papier. En fond sonore il y a des chœurs qui semblent de nature religieuse. Une accordéoniste est présente dans l’ombre, immobile.


 

Le Chemin se fait en Marchant (Mimos 2006)

À la fois parcours de femme et parcours d’artiste, la pièce raconte le témoignage d’un corps de femme chargé d’histoire, entre vie privée et vie artistique, et soulève une peu le voile de mystère qui recouvre la création. Au ras de l’émotion et du sensible, le spectacle s’énonce à l’entrecroisement de l’objet, du théâtre, de la danse et du Mime corporel. Ce seul en scène de Claire Heggen est une étape pour revisiter l’archéologie intime de ses propres créations, une halte pour reprendre souffle et forces pour s’engager légère et renouvelée sur la route à venir sur deux pas cadencés.

Nous voyons dans l’extrait un personnage (Claire Heggen) qui semble imiter une créature, peut-être un oiseau, qui apprend tout juste à marcher, puis qui marche en cercle de plus en plus vite et avec de plus en plus d’aisance. Elle dit : « Je fais l’inventaire des différents articles du corps ». Elle énonce en imitant différentes actions que fait le corps. Elle invite du doigt les changements d’intensité de lumière. Il y a une toile blanche au fond à gauche, et derrière cette toile il y a un spot de lumière. Elle effectue différentes démarches. Puis, est projetée sur la toile une vidéo d’une danse traditionnelle qui emploie toutes les parties du corps, les mouvements rappelant ceux du personnage sur scène.


 

Ce corps qui parle (Mimos 2012)

Dans ce spectacle en forme de conférence, Yves Marc démonte et démontre les gestes usuels du quotidien. Axes de regard, inclinaisons de tête, gestes de main, postures, pas… Toutes ces actions simples auxquelles on ne prête guère attention échappent à la conscience de celui qui les réalise. Et pourtant ces gestes « imperçus » nous disent combien le corps « parle ». Yves Marc, s’appuyant sur des données simples de neurosciences ou de techniques de communication, porte un regard amusé-quoique scientifique- sur notre humanité. Il croque, grâce à son expérience d’acteur gestuel et metteur en scène, quelques portraits de la comédie humaine.

Nous voyons dans l’extrait que le personnage parle de l’importance de la communication, en centrant son propos sur la partie du genou et donc sur le lien entre « je » et « nous ». Puis il effectue différentes démonstrations de marche, en utilisant ou omettant d’employer certaines parties du corps. Les différentes démarches donnent vie à différents personnages-types et/ou différentes situations. Le caractère caricatural des marches et démarches confère un aspect comique à l’extrait.


 

Alba (Mimos 2015)

En 1936, dans l’Andalousie profonde, à la mort du père, la mère enferme ses filles pendant huit ans, le temps du deuil. Alba va donner à voir, de manière souvent métaphorique, l’enfermement, le pouvoir maternel, social, religieux, le jeu des frustrations et des désirs, des sensualités latentes à l’idée de l’homme, les jalousies et les haines, la contrainte des corps et des âmes. C’est aussi une ode à la vie et à l’amour sous toutes ses formes, l’amour comme arme possible de résistance et de transgression… Une ode au désir de libre et libéré du poids des dogmes d’une société soumise.

(La captation est intégralement disponible sur le site Somim)

Nous voyons dans l’extrait l’une des filles sur scène, qui danse et qui semble prendre conscience de chaque partie de son corps. Un corps contraint, empêché parfois dans ses mouvements. C’est aussi semble-t-il, la découverte de sa sexualité. Une sœur, vêtue de noir également, l’observe à travers le rideau de fils puis la rejoint. Elles dansent ensemble en parallèle, dans une chorégraphie plus libérée, plus joviale. Elles rient honnêtement, dans un bonheur sincère. À la fin de l’extrait, un troisième personnage, vêtu de blanc, apparaît à son tour au fond de la scène. Sa présence laisse présager une nouvelle interaction, aux enjeux sans doute différents, entre les trois personnages.


La compagnie du Mouvement explore les notions de gestes, de mouvements du corps en partant de notions simples d’anatomie et de physiologie pour expliquer la présence corporelle de l’acteur et la théâtralité. Comment l’expressivité prend-elle ses racines au plus profond des corps ? Comment l’expression implique-t-elle des jeux de communication et de relations humaines souvent subconscientes ? En 1907, dans Ecrits sur le théâtre 1 (1973) Vsevolod Meyerhold affirme :


 

« Gestes, poses, regards, silences déterminent la vérité des relations réciproques entre les hommes. Les mots ne disent pas tout. Cela signifie qu’il faut aussi sur scène un dessin des mouvements qui puisse atteindre le spectateur en situation d’observateur perspicace… Les mots s’adressent à l’oreille, la plastique à l’œil. De cette manière, l’imagination du spectateur travaille sous l’impact de deux impressions, l’une visuelle, l’autre auditive. Et ce qui distingue l’ancien théâtre du nouveau, c’est que dans ce dernier la plastique et les mots sont soumis chacun à leur rythme propre et divorcent même à l’occasion.» 3


Dans un entretien, Philippe Ivernel demande à Claire Heggen : « Qu’en est-il, pour vous-même, de la théâtralité du mouvement ? ». L’artiste revient alors à la genèse de la compagnie et de son nom, avant d’ajouter sa définition personnelle : 

 

« Un théâtre qui s’écrit en se faisant. Aucun scénario préalable. Celui-ci n’arrivant qu’à l’issue de recherches sur le mouvement et d’explorations de thématiques qui se sont développées avec le temps (animalité, musicalité du mouvement, masques corporels, relation corps-objet, portrait corporel de l’acteur, manifestations corporelles des états de pensée et des émotions, texte du corps - corps du texte, relation voix - mouvement…). Initialement, une des thématiques qui a prévalu est celle de la marche humaine. Elle a permis de mettre en jeu et commander tout un processus de travail avec les acteurs de la compagnie, depuis l’anatomie et la physiologie de la marche jusqu’à son jeu métaphorique. Son exploration approfondie a favorisé l’émergence d’une grammaire propre de la marche, la découverte d’un vocabulaire riche porteur d’expressivité pour l’acteur, au potentiel formateur pour un large public. » 4

 

Ces questionnements sur le théâtre et l’acteur ont fortement contribué à forger la compagnie Théâtre du mouvement, qui offre à travers ses productions, plusieurs pistes de réponse et qui contribue à l’écriture d’une histoire de l’art de l’acteur.


 


 

Ce dossier a été réalisée par Améline Garant, étudiante en Khâgne au Lycée Gay Lussac à l’occasion d’un stage effectué dans le cadre du Festival Mimos 2022.

Toutes les informations reportées ici sont issues de recherches menées sur la plateforme Somim et au centre de documentation de la Médiathèque Pierre Fanlac de Périgueux.

 

1Claire Heggen et Yves Marc avec la complicité de Patrick Pezin, Théâtre du mouvement, éditions Deuxième Époque - Domaine Théâtre, 15 juin 2017

2 Id.

3Vsevolod Meyerhold, Ecrits sur le théâtre, Volume 1, L'AGE D'HOMME, 2001

4Heggen, Claire. « Théâtre du Mouvement. Entretien avec Philippe Ivernel », Études théâtrales, vol. 49, no. 3, 2010, pp. 113-116, mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2018, consulté le 03/02/2023, https://doi.org/10.3917/etth.049.0113.

 

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